Communiqués de presse 14.10.2016

Le CETA porte atteinte à la Constitution française, alerte foodwatch

Plusieurs dispositions du CETA, l’accord de commerce et d’investissement entre l’UE et le Canada, portent atteinte à la Constitution française, selon les analyses de Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel et d’Evelyne Lagrange et Laurence Dubin, professeures de droit international public. Pour foodwatch, c’est une raison de plus pour que la France ne vote pas en faveur de ce texte le 18 octobre, et refuse toute entrée en vigueur dite ‘provisoire’.

foodwatch a alerté à de multiples reprises sur les dangers du TAFTA, et du CETA, son petit cousin canadien. Ces traités dits de « nouvelle génération » mettent en place des mécanismes visant à réduire toutes les barrières au commerce, menaçant de ce fait les réglementations qui protègent l’environnement, les droits sociaux ou encore l’alimentation (OGM, pesticides, etc…). Les multinationales se voient accorder de nouveaux privilèges, au détriment des représentants politiques, élus, et des juridictions nationales et européennes. Le CETA est soumis au vote des Etats membres au Conseil de l’Union européenne le 18 octobre, avant de passer devant le Parlement européen en décembre, puis d’entrer dans un processus de ratification nationale.         

Sauf que… malgré la nouveauté et les risques que présente cet accord, la Commission propose de décider son application provisoire avant la consultation des Parlements nationaux, et sans contrôle préalable de sa compatibilité avec le droit européen et les constitutions des États membres.
Face à cette épée de Damoclès pesant sur nos démocraties, foodwatch, en collaboration avec l’Institut Veblen, a sollicité l’avis d’universitaires en France. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, Evelyne Lagrange et Laurence Dubin, professeures de droit international public, se sont penchés sur la compatibilité du CETA avec la Constitution française (1). Leurs premières analyses convergent : plusieurs dispositions du CETA portent atteinte à la Constitution, ce qui pourrait rendre impossible la ratification par la France de l’accord CETA en l’état.

De ces échanges, foodwatch retient plusieurs atteintes possibles à la Constitution :

1)    Le principe d’égalité
Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats ou Union européenne (RDIE) permet aux investisseurs étrangers, et à eux seuls, d’introduire une plainte devant un tribunal international spécialement constitué pour la protection des investissements à propos de mesures prises par un Etat membre de l’Union européenne ou l’Union européenne et de demander réparation si ces mesures sont contraires au CETA. En cas de contestation d’une décision de politique publique prise par la France, ce mécanisme crée ainsi une inégalité entre les investisseurs nationaux et les investisseurs étrangers, puisque ces derniers bénéficient d’une voie de droit spéciale pour protéger leurs intérêts.
C’est d’autant plus vrai que les investisseurs étrangers ne sont pas tenus d’épuiser les voies de recours nationales. Ils peuvent donc les contourner et décider de saisir directement le tribunal international parallèle créé par le CETA.

2)    « Les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale »
Le CETA crée plus d’une dizaine de comités (le Comité mixte, les comités spécialisés comme le comité de gestion mixte des mesures sanitaires et phytosanitaires, le comité sur les services et les investissements, etc…). Le Comité mixte joue un rôle prépondérant. Il réunit des représentants du Canada et de l'Union européenne, mais ne compte pas de représentants des Etats membres, et se voit doté d’un pouvoir de décision et d’interprétation important. Collaborant avec les comités spécialisés, le Comité mixte interfère ainsi dans l’exercice du pouvoir des Etats membres et des instances de l’Union européenne en matière législative et réglementaire.

Notons qu‘en cas d’application provisoire du Traité, le Comité mixte et certains des comités spécialisés pourront exercer leurs fonctions immédiatement (article 30.7.3.d).
Au surplus, le CETA prévoit que les parties mettent en place des mécanismes de coopération réglementaire afin de réduire les barrières au commerce, par l’harmonisation ou la reconnaissance mutuelle de leurs normes. Ces mécanismes, notamment prévus au chapitre 21 de l’accord, créent de nouvelles contraintes par rapport à la fonction de « faire la loi », ce qui présente le risque de porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, telles que définies dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
 
Enfin, le risque qu’encourt l’Etat de devoir payer des indemnités très importantes en cas de plainte devant le tribunal international par des investisseurs privés est susceptible d’exercer une contrainte supplémentaire par l’effet dissuasif qu’il pourrait produire sur les autorités nationales compétentes au moment d’adopter de nouvelles législations qui pourraient être jugées incompatibles avec les exigences du CETA.

Le CETA opère donc de multiples transferts de compétences vers des organes (Comité mixte, comités spécialisés, tribunal compétent pour le règlement des différends entre autorités publiques et investisseurs) qui ne se rattachent ni à l’ordre juridique de l’Union européenne, ni à celui de ses Etats membres mais dont les pouvoirs peuvent les contraindre directement ou indirectement.

3)    Le principe de précaution

Le principe de précaution permet de prendre des mesures visant à protéger les citoyens face à des risques potentiels, particulièrement dans le domaine de la santé ou de l’alimentation. En France, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution depuis 2005.
L’accord CETA, intervenant dans de nombreux domaines relatifs à l’environnement, ne prévoit aucune « mesure propre à garantir le respect du principe de précaution » (formule utilisée par le Conseil constitutionnel en 2008).
Cette analyse vient confirmer l’étude publiée par foodwatch en juin 2016 et réalisée par quatre juristes européens qui concluait déjà que le principe de précaution n’était aucunement garanti dans le CETA (2).  

Pour Karine Jacquemart, directrice générale de foodwatch France : « Au vu de ces analyses, foodwatch réitère son appel pour que la France n’adopte pas le CETA le 18 octobre. Il serait par ailleurs inconcevable d’accepter l’entrée en vigueur provisoire d’un accord qui peut s’avérer inconstitutionnel. »

Compte tenu des enjeux et des inconnues du CETA, il est urgent au contraire de prendre la mesure des implications de cet accord, et que le Conseil constitutionnel soit saisi de la conformité du CETA à la Constitution, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution.
En Allemagne, foodwatch a déposé une plainte soutenue par plus de 125 000 citoyens auprès de la Cour constitutionnelle le 30 août 2016.
Outre-Rhin, quatre dispositions du CETA sont identifiées par les auteurs de la plainte comme contraires à la Loi fondamentale allemande : le rôle du « comité mixte » du CETA (très influent dans la mise en œuvre de l’accord), le droit de recours pour les investisseurs étrangers à un tribunal d’arbitrage international, le manque de protection du principe de précaution, ainsi que la mise en application provisoire de l’accord.


Note aux rédactions :

Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature de 2002 à 2006. Ses recherches portent principalement sur le contentieux constitutionnel et la notion de démocratie.
Evelyne Lagrange est professeure de droit public à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice du Master recherche Droit international public et organisations internationales dans cette université. Ses recherches portent notamment sur les organisations internationales et les rapports entre droit interne et droit international.

Laurence Dubin est professeure de droit public à l’Université Paris 8 Saint-Denis et directrice du laboratoire de recherche juridique Forces du droit. Ses recherches portent notamment sur le droit international des échanges.