Communiqués de presse 23.03.2023

Un miel sur deux importé en Europe serait frauduleux et souvent pas détecté, révèle la Commission européenne. foodwatch exige l’information des consommateurs en toute transparence

C’est une révélation-choc autant qu’un aveu de faiblesse. « Une part importante du miel importé en Europe est soupçonné d’être frauduleux, mais il n'est souvent pas détecté », affirme le rapport “From the hives” (‘De la ruche’) publié aujourd’hui par la Commission européenne. Sur les 320 lots de miels testés par le laboratoire officiel du Joint Research Centre (JRC) pour la Commission, 46% ne seraient pas vraiment du miel. Ils contiennent des sirops de sucre à base de riz, de blé ou de betterave sucrière. C’est totalement interdit mais ces produits parviennent pourtant jusqu’aux consommateurs et consommatrices. Pour foodwatch, ce résultat alarmant démontre que le marché européen est une véritable passoire qui permet aux fraudeurs d’écouler leurs faux produits. Contrôles et sanctions sont pourtant la responsabilité des Etats membres : nos autorités doivent y dédier des moyens à la hauteur de l’enjeu et surtout, informer enfin les consommateurs. Bien que ces miels hors-la-loi soient vendus sur le territoire européen, aucune information n’est donnée aux citoyens et citoyennes sur les produits concernés. Cette opacité sur les aliments frauduleux doit être corrigée de toute urgence, réclame foodwatch qui déplore que la fraude alimentaire soit un tabou dans le débat public.

46% : c’est le pourcentage de miels importés en Europe suspectés d’être frauduleux. Ce taux de suspicion est considérablement plus élevé que lors du précédent plan de contrôle coordonné à l'échelle européenne en 2015-17, où seuls 14 % seulement des échantillons analysés n'étaient pas conformes aux critères de référence établis pour évaluer l'authenticité du miel. Que s’est-il passé entretemps ? Le Joint Research Centre a développé une nouvelle méthodologie prometteuse. Autrefois, les fraudeurs diluaient le miel avec des sirops de sucre à base d'amidon de maïs ou de canne à sucre. Se sachant surveillés, ils les ont remplacés par des sirops fabriqués principalement à base de riz, de blé ou de betterave sucrière... que les méthodes du JRC ont réussi à détecter. D’où ce résultat incroyable. Le hic, c’est que cette méthodologie n’est pas (encore) utilisée par les laboratoires officiels au sein des Etats membres ni par les laboratoires privés qui font les tests pour l’industrie. 

Pour parvenir à ce résultat, la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne (DG SANTE) a coordonné une grosse opération de contrôle des miels importés au sein de l’Union européenne en collaboration avec 16 pays européens, la Norvège, la Suisse et l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Parmi les 320 prélèvements effectués aux frontières – dans les ports européens essentiellement –, 46% des miels testés montrent des résultats suspicieux par rapport à la directive européenne 2001/110/CE sur le miel. Ces faux miels provenaient surtout de Chine et de Turquie. 

L’Europe est une passoire pour la fraude alimentaire

« En Europe, nous sommes dotés de réglementations fortes dans le domaine alimentaire pour protéger les consommateurs. Pourtant, cette nouvelle enquête – que nous saluons - démontre que des milliers de tonnes de miel frauduleux pénètrent le territoire européen et donc nos supermarchés depuis des années sans que nous n’en soyons jamais informés. Et pour cause, les services de contrôles nationaux mais aussi les laboratoires privés passent à côté de la fraude car leurs moyens sont insuffisants et ils n’utilisent pas (encore) la nouvelle méthode développée par le Joint Research Centre qui permet de repérer les nombreuses adultérations sur les faux miels importés. Nous demandons maintenant un électrochoc politique : la fraude est massive et sous nos yeux. Mais elle reste un tabou. Nous voulons des moyens de contrôles à la hauteur de l’enjeu et une méthodologie harmonisée pour repérer la fraude au miel. Les citoyens ont le droit de savoir s’ils consomment des produits hors-la-loi », commente Ingrid Kragl de foodwatch, auteur du livre-enquête sur la fraude alimentaire “Manger du faux pour de vrai” paru aux éditions Robert Laffont.  Si ce rapport de la Commission européenne ne prétend pas refléter fidèlement le marché du miel au sein de l’UE, il donne un bon aperçu de l’ampleur de l’adultération du miel en provenance de pays tiers. 

  • Sur les 21 échantillons prélevés en France, seuls 4 étaient du vrai miel, 5 lots de miel suspectés d’être frauduleux étaient destinés au marché français tandis qu’une douzaine de lots non-conformes étaient destinés à la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne et les Pays-Bas. 
  • Sur les 63 échantillons prélevés en Belgique, près de 20 lots de miel suspectés d’être frauduleux étaient destinés au marché belge, d’autres miels non-conformes étaient destinés à la France, l’Allemagne et l’Espagne.
  • Sur les 32 échantillons prélevés en Allemagne, la moitié était suspectée d’être frauduleuse et destinée surtout au marché allemand. L’Allemagne concentre à elle seule un tiers environ des importations européennes de miel en provenance de pays tiers.
  • Sur les 103 échantillons prélevés en Pologne, près de la moitié était suspectée d’être frauduleuse et destinée au marché polonais, avec des lots non-conformes destinés également aux Pays-Bas et à la Belgique. 

Les prélèvements ont été effectués essentiellement dans les grands ports où les produits frauduleux arrivent avant de sillonner les routes européennes : Anvers, Hambourg, Barcelone, Le Havre, etc. et à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Sur les 95 importateurs ciblés, deux tiers d'entre eux avaient importé au moins une fois un lot de miel suspecté d'être frelaté avec des sirops de sucre. Il y a peu de risque pour la santé des consommateurs mais c’est tout simplement interdit. 
 

Les fraudeurs sont extrêmement malins

La dilution frauduleuse du miel avec des sirops de sucre rapporte gros et le risque de se faire attraper est faible. En moyenne, un miel importé en Europe coûte 2,17 euros par kilo alors que les sirops de sucre fabriqués à partir de riz coûtent entre 0,40 et 0,60 euros au kilo. Et l’Europe importe 175 000 tonnes de miel par an – c’est le deuxième importateur mondial de miel après les États-Unis -, pour couvrir 40% de sa consommation. L’Union européenne est donc très dépendante de ces importations en provenance de pays tiers.

« Si 46% des miels importés sont potentiellement frauduleux, cela fait plus de 80 000 tonnes de faux miels vendus et consommés en Europe chaque année... On parle ici des seules importations en provenance de pays hors Europe. Sans compter donc les fraudes intra-européennes bien sûr qui font grimper davantage ce chiffre. Tout cela dans l’opacité la plus totale pour les consommateurs », s’inquiète Ingrid Kragl de foodwatch. 

La participation de l’OLAF à cette grande opération européenne a permis de démontrer, par ses enquêtes, une collusion entre les opérateurs. Exportateurs, importateurs, mélangeurs et clients se mettent parfois d’accord pour : 
‣ recourir à des laboratoires accrédités par l'UE afin d’adapter les mélanges de miel et de sucre et éviter qu'ils ne soient détectés par les clients et les autorités officielles avant le début de l'opération ;
‣ utiliser des additifs et colorants pour imiter d'autres sources botaniques de miel ;
‣ utiliser des sirops de sucre pour frelater le miel et faire baisser son prix ;
‣ masquer délibérément la véritable origine géographique du miel en falsifiant les informations de traçabilité.

Pour l’instant, la Commission européenne insiste pour que les Etats membres et les opérateurs prennent leurs responsabilités. Il est toutefois difficile de renforcer les contrôles à l’importation car il n’existe pas de liste des établissements autorisés à exporter du miel vers l'UE. foodwatch craint que la passoire ne perdure. 

En France, où foodwatch fait campagne sur le sujet depuis plusieurs années, plus de 43 000 personnes ont signé la pétition réclamant la transparence sur la fraude alimentaire. 

Sources :