Communiqués de presse 01.10.2015

Fuite CETA (accord UE/Canada) : foodwatch publie le mandat de négociation secret

Les documents révélés par foodwatch démontrent que l’ISDS (mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats) n’était pas prévu dans le mandat initial de négociation de l’accord de libre-échange commercial entre l’Union européenne et le Canada.  

foodwatch publie ce 1er octobre 2015 le mandat confidentiel de négociation de l’Union européenne dans le cadre de l’accord de libre-échange CETA avec le Canada. Après le mandat du TAFTA (actuellement négocié entre l’UE et les Etats-Unis), c’est un nouveau document-clé qui vient d’être révélé au public.
foodwatch a divulgué sur son site internet trois documents fuités (en langue allemande) concernant le CETA et classifiés au niveau « UE restreint/EU restricted». Il s’agit du texte original du mandat daté d’avril 2009, d’un projet de révision de 2010, et des clauses ajoutées au mandat de négociation en juillet 2011.

Ceux-ci font apparaître très clairement que l’ISDS, mécanisme de règlement des différends très controversé, n’était absolument pas un enjeu au début des discussions, puisqu’il n’a même pas été évoqué dans le mandat original, du moins du côté européen. Les clauses de protection des investissements correspondantes n’ont été ajoutées aux directives de négociation que deux ans plus tard, en 2011. Par ailleurs, ces clauses engagent politiquement l’UE à adopter un tel mécanisme, réduisant en somme le droit des gouvernements à définir les normes en fonction des objectifs de leurs politiques publiques.

« Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats n’ont jamais été une condition indispensable à la négociation du CETA, contrairement à la description qui en est faite aujourd’hui. Lors du lancement des négociations, les décideurs européens n’ont exprimé aucun intérêt pour une justice parallèle réservée aux investisseurs. Et pourtant, maintenant qu’un accord CETA a abouti, leur position a changé : ils affirment aujourd’hui qu’un tel mécanisme est inévitable et que l’on ne peut plus rien y changer, dénonce le porte-parole de foodwatch Allemagne, Martin Rücker. Les documents fuités démontrent que l’accord de libre-échange n’est toujours pas débattu publiquement et honnêtement. »

Interrogée par foodwatch sur la publication du mandat de négociation du CETA, la Commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström a récemment annoncé qu’elle y serait favorable, tout en soulignant que la décision appartenait aux Etats membres. Mais le Conseil européen s’y est refusé. Entre-temps, foodwatch s’est procuré ces documents qu’elle partage aujourd’hui. Ils contiennent des informations importantes sur les critères approuvés par les Etats membres dans les directives de négociation pour la Commission européenne :

  • Dans le mandat d’origine de 2009 n’apparaît aucune directive relative à des clauses de protection des investissements, et encore moins en ce qui concerne les très controversés mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats. De telles dispositions n’apparaissent que dans la version amendée de 2011 : « L’accord doit fournir un mécanisme efficace et adapté pour régler les différends entre investisseurs et Etats » (ajout au mandat de négociation, paragraphe 26, traduit de l’allemand par foodwatch). Depuis plusieurs mois, Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur français et Sigmar Gabriel, Vice-chancelier allemand, laissent entendre qu’un CETA sans protection des investisseurs serait possible. Mais en réalité, la Commission européenne est depuis bien longtemps liée politiquement par des directives de négociation qui la poussent à défendre de telles dispositions.
  • Les directives de négociation font référence à la fois aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats, et au « droit des parties à prendre des mesures pour atteindre des objectifs de politiques publiques légitimes sur la base du niveau de protection qu’elles jugent approprié ». Pourtant, elles qualifient les premiers (ISDS) de « nécessaires », tandis que le « droit des parties » ne se voit attribué qu’une simple recommandation d’apparaître en préambule de l’accord CETA. Deux poids, deux mesures. Par ailleurs, le mandat restreint le droit des gouvernements à réguler, en laissant place à l’interprétation (« étant assuré que ces mesures ne constituent pas un moyen de discrimination injustifiable ou des entraves déguisées au commerce international », directives de négociation, paragraphe 5, traduit de l’allemand par foodwatch).
  • Contrairement au document CETA, le mandat de négociation du TTIP (traité transatlantique entre l’UE et les Etats-Unis) évoque les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats comme une « préconisation », et non pas comme une « nécessité » (directives de négociation du TTIP, paragraphe 23, traduit de l’anglais). Cette différence jette une lumière nouvelle sur les développements récents autour de l’ISDS. Ainsi la Commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström a proposé un nouveau système pour remplacer les mécanismes de règlement des différends du TTIP, sans intention apparente d’étendre sa proposition au CETA. Toutefois, le mandat autant que l’ébauche d’accord peuvent bien sûr encore être modifiés par nos décideurs politiques européens. 

foodwatch réitère son appel à l’Union européenne et aux Etats membres à rejeter la ratification de l’accord CETA, et à stopper les négociations en cours sur le TTIP, dans les circonstances actuelles. foodwatch estime par ailleurs que les propositions de madame Malmström ne résoudraient en rien les problèmes liés aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et Etats. D’une part, les entreprises américaines pourraient utiliser l’accord CETA pour instruire des demandes d’arbitrage via une filiale canadienne. D’autre part, la création d’une cour dédiée aux investisseurs n’apporterait aucune réponse au principal problème : même modifiée, il s’agirait toujours d’une justice parallèle spécialement mise en œuvre pour les investisseurs. Les entreprises joueraient cette carte pour en tirer de meilleures compensations qu’auprès des tribunaux nationaux ordinaires.