Actualités 27.03.2015

Étiquetage nutritionnel : les enjeux derrière l’intox

La fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui représente la quasi-totalité de la grande distribution, a dévoilé son projet d’étiquetage nutritionnel. Elle prétend vouloir mieux informer le consommateur, mais c’est un leurre. Avec un système de « fréquences de consommation » qui insinue que tous les aliments sont finalement plus ou moins sains, en cherchant à rassurer avec des prescriptions basés sur des critères inconnus, la FCD tente par tous les moyens de préserver ses intérêts, au détriment de la transparence.

En France, 30% de la population est en surpoids et 16% obèse. Des millions de personnes souffrent d’hypertension. Les mauvaises habitudes alimentaires sont en grande partie responsables de ces problèmes de santé publique qui coûtent par ailleurs des milliards d’euros à la sécurité sociale. Dans ce contexte, une information nutritionnelle claire et fiable doit permettre aux consommateurs de se nourrir enfin en toute connaissance de cause et les aider à rééquilibrer leur alimentation. L’industrie agroalimentaire ne veut pas de cette transparence car les consommateurs, informés sur les piètres qualités nutritionnelles de certains aliments s’en détourneraient inéluctablement.


Au lieu d’informer clairement les consommateurs, le système défendu par la FCD cherche surtout à les rassurer avec des mentions prescriptives apposées sur des produits transformés. De son côté, la Ministre de la Santé Marisol Touraine défend un modèle à cinq couleurs et cinq lettres. Cette volonté d’améliorer l’information du consommateur face au baratin marketing de l’industrie agroalimentaire est tout à son honneur, mais cet étiquetage n’est malheureusement pas beaucoup plus compréhensible que celui proposé par la FCD. foodwatch estime donc que le système d’étiquetage retenu par le ministère est une fausse bonne idée et relève quatre intox dans ce débat.

Intox n°1. Le code à cinq couleurs inspiré des travaux du professeur Hercberg est la solution.

FAUX. Un code qui présente cinq couleurs et cinq lettres n’est pas facile à interpréter en un coup d’œil. foodwatch défend depuis des années le système de feux tricolores mis au point par les autorités sanitaires britanniques, la Food Standards Agency (FSA). Il repose sur trois couleurs, inspirées des feux de signalisation universellement compris : vert pour un produit sain, orange lorsqu'il faut le consommer avec modération et rouge pour les produits à éviter.

A-t-on oublié que la majorité des Français est favorable à ce système de trois couleurs, comme l’a magistralement démontré l’étude Nutrinet Santé (décembre 2012) à laquelle avait d’ailleurs participé le professeur Serge Hercberg en tant que directeur et coordinateur ? 83% des 38.763 adultes participant à la cohorte plébiscitaient alors nettement le feu tricolore : « Les consommateurs ont tendance à préférer un modèle de logo (…) tel que le feu tricolore multiple (« Traffic Lights Multiple » déjà utilisé en Grande-Bretagne) ».

Intox n°2. L’industrie agroalimentaire fait de gros efforts pour mieux informer les consommateurs/contribuer à une meilleure alimentation.

FAUX. Les lobbies de l’industrie alimentaire ont dépensé 1 milliard d’euros entre 2006 et 2010 pour empêcher l’apposition d’un étiquetage par feux tricolores sur les emballages en Europe. En France aussi, l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires) continue de s’opposer à un code couleur obligatoire. Alors que 80% des Français sont demandeurs d’un tel logo d’information nutritionnelle à l’avant de l’emballage. Les industriels s’opposent à cette signalétique en arguant qu’il faudrait plutôt éduquer les consommateurs.

Le communiqué de la FCD plaide également pour une « meilleure éducation ». Pour foodwatch, cette pirouette permet surtout à l’industrie agroalimentaire d’échapper à ses responsabilités : elle nie ainsi son rôle dans la malbouffe ou l’obésité galopante. Les lobbies préfèrent incontestablement rejeter la faute sur les consommateurs en les « éduquant » plutôt qu’en améliorant les qualités nutritionnelles de leurs produits.

Intox n°3. L’étiquetage nutritionnel sera obligatoire et présent à l’avant de tous les emballages.

FAUX. La France ne peut contraindre seule les industriels à afficher des informations nutritionnelles à l’avant de l’emballage ; elles resteront facultatives. Car l’étiquetage de nos aliments est une compétence européenne. La Ministre de la Santé française ne peut en effet pas remettre en question le règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (INCO) entré en vigueur fin 2014. Tous les Etats membres se sont engagés à respecter ces nouvelles règles d’étiquetage.

Par exemple, à compter de décembre 2016, les sept principales valeurs nutritionnelles - énergie, matières grasses, acides gras saturés, glucides, sucres, protéines et sel - devront figurer sur l'emballage de façon homogène : pour 100 grammes ou 100 millilitres. Cette nouvelle obligation est un premier pas dans la bonne direction. Mais il n’est toujours pas obligatoire de les indiquer sur le devant de l'emballage et de les exprimer au moyen de feux tricolores.

Intox n°4. L’étiquetage nutritionnel nous permettra de manger sainement.

FAUX. Les « fréquences de consommation » apposées d’ici la fin de l’année par la FCD seront attribuées par un mystérieux « comité scientifique pluridisciplinaire ». Sur ce point, foodwatch rejoint la position de la Société Française de Santé Publique (SFSP) et la Société Française de Pédiatrie (SFP) pour qui : « Aucun comité d’experts dans le monde n’a adopté ou même osé proposer un système définissant des fréquences de consommation pour les aliments de marque, notamment transformés, compte tenu de l’impossibilité de les définir et des risques d’induire des comportements alimentaires inadaptés (et il est encore plus curieux qu’elles soient définies par celui qui les fabrique ou les commercialise…) ».

Rappelons que si étiquetage nutritionnel il y a, celui-ci devra obligatoirement se référer aux seuils recommandés dans le règlement européen INCO. Malheureusement, entre ces valeurs de références définies au niveau européen et celles que préconisait la FSA (Food Standards Agency) pour les feux tricolores, la différence est énorme notamment en ce qui concerne la quantité de sucres libres consommée par jour. En lieu et place des 50g recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’INCO a retenu 90g.

C’est d’autant plus absurde que l’OMS prévoit justement de diviser par deux ses recommandations pour arriver idéalement à 25g/jour. On risque donc de consommer plus que de raison des aliments très sucrés pourtant affublés d’un logo comportant une bonne note.