Actualités 15.02.2024

Stratégie des distributeurs sur la sortie des pesticides : le baromètre de foodwatch

Pour réduire et mettre fin à l’usage des pesticides en Europe, il faut impérativement s’attaquer à la culture des céréales qui représente le plus de surface agricole et où le plus grand nombre de doses de pesticides est utilisé. La responsabilité des distributeurs sur le sujet et dans le contexte actuel est majeure : ils ont la mainmise sur l’offre des produits qu’ils mettent en rayon. foodwatch a mené l’enquête auprès de 20 distributeurs à travers l’Europe, dont 6 en France, afin de scruter leur stratégie de réduction ou de suppression des pesticides dans la production de céréales. Résultat : le compte n’y est pas.

Sortie des pesticides : place aux céréales !

Depuis plusieurs années, grâce à l’action d’associations et à une mobilisation citoyenne d’ampleur, la question des résidus des pesticides dans les fruits et légumes a émergé dans le débat public et a eu un impact sur l’offre des distributeurs. 

Pourtant, c’est la production de céréales comme le blé, le maïs, l’avoine, etc. qui contribue de manière significative à l'usage généralisé de pesticides dans l'Union européenne, et donc à la contamination de l’environnement et à l’ingestion de résidus de ces substances. Pour sortir des pesticides, il faut donc commencer par agir sur la façon dont sont cultivées les céréales, un sujet souvent négligé par les distributeurs par rapport à celui des fruits et légumes.

En Europe, la production de céréales couvre 50% des surfaces cultivées : c’est l’équivalent de plus 81 millions de terrains de football qui sont traités en moyenne 4 à 6 fois par des pesticides chaque année. En France, près de 40% des pesticides utilisés le sont précisément sur des céréales. Agir à ce niveau ferait donc une différence énorme, et les distributeurs ont un rôle de premier plan à jouer dans ces évolutions.
 

Grande distribution : une responsabilité dans la fin des pesticides dans les céréales

Remettons les points sur les i : les mastodontes de l’agroalimentaire et de la grande distribution ont une responsabilité centrale dans les dysfonctionnements de notre système agroalimentaire, et l’utilisation massive de pesticides en fait partie. Leur mainmise sur le marché leur permet non seulement d’imposer leurs conditions aux productrices et producteurs, mais aussi d’utiliser leur pouvoir d’influence sur les pratiques de consommation, puisque c’est eux qui décident ce qu’ils mettent dans les rayons et à quel prix.

Pour foodwatch, il est nécessaire d’interroger le rôle et les actions des supermarchés vis-à-vis de l’impact environnemental des produits qu’ils vendent dans leurs rayons alimentation. Si les distributeurs agissaient véritablement sur l’usage des pesticides dans la production de céréales – en accompagnant les agriculteur·rices et en achetant leur production à un prix équitable –  l’impact positif pourrait être conséquent. La pression des consommateur·rices sur ce sujet est essentielle pour montrer aux supermarchés qu’il est de leur responsabilité de s’engager entièrement sur cette voie. 

Stratégie pesticides des supermarchés : de l’enquête de foodwatch

Afin de faire le lien avec l’existant, foodwatch a analysé 20 distributeurs en France, aux Pays-Bas et en Allemagne (ainsi qu’un détaillant en Suisse) pour savoir s’ils ont un plan pour réduire l’utilisation de pesticides dans leurs produits tels que le pain, les pâtes et les céréales. En France, les réponses de Carrefour, Super U, E. Leclerc, Casino, Monoprix et Intermarché diffèrent légèrement mais nous amènent à un même constat : si l’on retrouve chez chacun de ces distributeurs des stratégies plus ou moins avancées et ambitieuses pour réduire les pesticides au rayon fruits et légumes, aucun distributeur français n'a adopté une stratégie de réduction et de suppression des pesticides dans la production de céréales.

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Voici les points clés de notre investigation :

1.    Une large proportion des enseignes enquêtées en France a une stratégie dédiée et précise sur leur offre de fruits et légumes – avec des contraintes sur les usages de certains produits, un accompagnement technique et financier des agriculteur·rices. 
2.    Sur les produits à base de céréales, c’est plutôt l’inverse. Seul Carrefour et Intermarché ont commencé à se pencher sur la question, sans toutefois clairement fixer un objectif de réduction et de suppression. 
3.    De nombreux supermarchés se concentrent sur la quantité de résidus de pesticides sur les produits et non sur la réduction et la suppresion de l’usage lors de la production. C’est une démarche qui n’est pas suffisante car la contamination de l’environnement par les pesticides ne peut être réduit auux résidus dans le produit fini mais aussi sur le nombre de doses épandues sur les champs. 
4.    Seul le supermarché Tegut en Allemagne propose une large offre de produits de boulangerie biologiques réduisant l’offre conventionnelle. 

Rapport complet baromètre foodwatch
 

Aujourd’hui, le constat est sans appel. Dans les rayons, les produits élaborés avec des ingrédients produits sans pesticides sont inaccessibles pour la majorité des consommateur·rices, car trop chers ou juste absents des rayons. Il ne suffit pas d’offrir des alternatives BIO via une offre premium ou les marges sont souvent excessives. Il est nécessaire d’avoir des objectifs explicites de réduction et de suppression de l'utilisation de pesticides dans les produits conventionnels, notamment là où près de la moitié de toutes les applications de pesticides ont lieu dans l'UE : dans la culture céréalière ! 

Important : un « feu vert » dans une catégorie ne veut pas dire que le distributeur a réussi à mettre en place les demandes de foodwatch, seulement qu’il est sur la bonne voie pour le faire. Finalement, le baromètre peut être mis à jour avec si un distributeur s’engage à mettre en place des actions allant dans le sens d’une réduction ou d’une suppression des pesticides dans la culture des céréales utilisées pour les produits proposés dans leurs rayons. 

En France, focus sur Carrefour, E.Leclerc, Super U, LIDL, Casino, Monoprix et Auchan

Si l’on veut résumer rapidement, certains supermarchés français ont souvent un pas d’avance par rapport aux autres, mais globalement, leurs stratégies pour réduire les pesticides manquent d’ambition. Les couleurs vertes de notre baromètre ne sont donc pas des félicitations, mais plutôt des encouragements pour que ces supermarchés continuent de mettre en place des actions qui vont dans le bon sens.

Carrefour surveille l’utilisation de pesticides de synthèse dans les cultures de ses marques distributeurs. Par rapport aux données nationales dans les secteurs agricoles d’aujourd’hui, Carrefour a déclaré avoir pu réduire l’utilisation des pesticides de 50 % en moyenne. Le détaillant, cependant, ne possède pas de données sur l’utilisation des pesticides en dehors de ses propres marques. Carrefour accompagne également les producteur·rices dans leur processus de conversion à l’agriculture biologique, au travers d’un contrat à long terme, d’une durée de 3 à 5 ans, qui sécurise les investissements des agriculteur·rices via des prix intermédiaires entre le conventionnel et le bio. Fin 2022, 1 247 références de produits de la marque Carrefour Bio ont été vendues en France (Carrefour Bio, Nectar of Bio, Carrefour Baby Bio). Dans l’ensemble, le supermarché est proche d’un classement vert dans la catégorie des fruits et légumes. Mais ni l’offre, ni la politique d’approvisionnement ne se concentrent sur une production sans pesticides, notamment dans la production de céréales.


Intermarché a conçu une stratégie de réduction des pesticides dans les produits céréaliers. Elle n’a toutefois présenté ce plan qu’à un comité de concertation avec les parties prenantes de l’entreprise. Aucun autre détail n’est encore public. En ce qui concerne les fruits et légumes, Intermarché va plus loin : dès 2017, le distributeur a mis en place une stratégie de réduction des pesticides dans la production primaire. Son objectif est d’éliminer les substances actives les plus dangereuses pour la santé ou l’environnement, en trouvant des solutions alternatives, telles que l’optimisation de la rotation des cultures, les prédateurs naturels des ravageurs et les contrôles mécaniques. Intermarché propose principalement des fruits et légumes labellisés « Zéro Résidu de Pesticides ». La part de marché des produits biologiques d’Intermarché n’a cessé de croître depuis fin 2018, passant de 13 % à 15,1 %.


Lidl n’a pas de stratégie claire sur les céréales. Mais à l’instar d’EDEKA en Allemagne, Lidl France a une stratégie pour réduire l’utilisation des pesticides dans certains fruits et légumes, comme les bananes et les tomates. Chacun des fournisseurs du supermarché pour ces produits doit définir un plan d’action de réduction des pesticides à l’échelle de sa structure. Cependant, l’objectif du supermarché n’est pas de proposer une production 100% sans pesticides. Même si la protection de la biodiversité représente « une priorité pour Lidl » selon leurs propres mots, son objectif est uniquement des fruits et légumes sans résidus. Pourtant, pour la protection de la biodiversité, c’est l’utilisation de pesticides dans la production primaire est prioritaire, et non pas la question des résidus. Le supermarché dispose de données spécifiques sur l’utilisation de pesticides pour les fruits et légumes qui font partie de la stratégie, mais pas de données complètes.


Casino-Monoprix n’a pas de stratégie spécifique pour réduire l’utilisation des pesticides dans les produits céréaliers. Dans la catégorie des fruits et légumes, l’enseigne propose de nombreux produits soit bio, soit « garantis sans résidus de pesticides quantifiés ». Plusieurs autres supermarchés français font de même. Cependant, cette classification ne doit pas être confondue avec « sans pesticides ». Au lieu de cela, ces produits ne contiennent pas de grandes quantités de résidus de pesticides après la récolte. Casino-Monoprix précise que 100% des fruits et légumes de sa propre marque seraient soit bio, soit « garantis sans résidus de pesticides quantifiés ».


Super U fait référence à l’agroécologie et à la certification « Haute Valeur Environnementale » (HVE) comme stratégies pour réduire son utilisation de pesticides. L’objectif du supermarché est de proposer 100% de fruits et légumes certifiés HVE d’ici 2030. Cependant, le détaillant ne partage pas de données sur la quantité de pesticides qui est réellement réduite. Le supermarché ne propose aucun produit sans pesticides, en dehors de son offre bio. 8,5 % du portefeuille total d’aliments et de boissons de la marque est biologique. Le supermarché propose aux agriculteur·rices un programme de transition.


E.Leclerc n’a pas de stratégie explicite pour réduire l’utilisation de pesticides dans les produits céréaliers, mais elle aide les agriculteur·rices à se convertir à la production biologique, y compris les producteur·rices de blé. Le supermarché indique qu’au cours de la saison 2022, 38 producteur·rices de blé se sont converti·es au bio. En ce qui concerne les fruits et légumes, le supermarché est prêt à réduire l’utilisation des pesticides très dangereux, mais les règles permettant aux producteur·rices d’atteindre cet objectif ne sont pas contraignantes.


Méthodologie et sources

En juillet dernier, nous avons envoyé un questionnaire aux distributeurs les plus importants en Allemagne, France et Pays-Bas afin d’évaluer leur stratégie d’approvisionnement et l’assortiment de produits proposés, au regard de l’usage des pesticides dans la production de fruits et légumes, mais surtout pour les produits à base de céréales.  Suite à ces questionnaires, certains distributeurs ont tenu à échanger directement avec nous pour expliciter certains points, d’autres se sont contentés d’une brève réponse. Après le lancement de notre campagne sur l’usage des pesticides dans la culture des céréales en octobre 2023, d’autres courriers avec des précisions se sont ajoutées à la première vague. C’est sur l’ensemble de ces informations que nous avons créé ce baromètre.