L’arbitrage des conflits dans les accords commerciaux, quesaco ?

L’arbitrage des conflits dans les accords commerciaux, quesaco ?

On parle beaucoup de « l’arbitrage » dans les traités TAFTA et CETA. Mais l’arbitrage de qui, de quoi et comment ? foodwatch fait le point sur ce mécanisme, appelé tantôt RDIE, ISDS, ou même ICS, qui peut paraître obscur mais qui représente un danger clair et immédiat pour nos démocraties et nos choix de société. Alors le RDIE, ou règlement des différends entre investisseurs et Etats, c’est quoi ?

Une justice parallèle réservée aux grandes entreprises étrangères

Ce mécanisme permet aux entreprises d’attaquer des autorités publiques, en particulier des Etats, si elles estiment qu’une mesure met en danger leurs profits, et ce même s’il ne s’agit que de prévisions. Le RDIE leur donne ainsi le droit exclusif d’attaquer des politiques d’intérêt général. L’entreprise suédoise Vattenfall a par exemple utilisé une clause similaire pour attaquer le gouvernement allemand suite à sa décision de sortir du nucléaire, réclamant 4,7 milliards d’euros de compensation.

Le Mexique, qui en 2001, a imposé une taxe sur les sodas contenant tout autre édulcorant que le sucre de canne, a été attaqué à quatre reprises par des entreprises basées aux Etats-Unis. Le pays a ainsi été condamné à verser plus de 200 millions de dollars au total, au titre que la taxe représentait une discrimination à l’encontre des entreprises étrangères (alors qu’elle s’appliquait également aux entreprises mexicaines). Le tout "grâce" à l'ALENA, traité de libre-échange qui lie les Etats-Unis au Mexique et au Canada.

Problème, ce système fonctionne en parallèle des justices nationales, et n’est destiné qu’aux seuls investisseurs étrangers. Et de fait, il s’adresse seulement aux plus grandes entreprises : l’expérience tirée de mécanismes similaires déjà en place montre que le coût prohibitif de ces procédures exclut les PME.
Les Etats de leur côté sont deux fois perdants : non seulement ils n’auront pas le droit de saisir ces tribunaux, mais même lorsqu’ils gagneront – ou plutôt ne perdront pas – ils devront quand même payer puisque les frais de défense parfois faramineux restent à leur charge, et donc à celle des contribuables.

Une menace pour nos choix démocratiques

La menace de telles poursuites risque fort de dissuader les pouvoirs publics d'adopter de nouvelles lois et réglementations, y compris dans le domaine de l’alimentation alors que les besoins pour mieux informer et protéger les consommateurs sont criants. Le risque d’autocensure par les Etats est bien réel, car les dommages-intérêts potentiels infligés en cas d’arbitrage défavorable peuvent se chiffrer en millions.

Le projet d’inclure un RDIE dans le TAFTA a suscité une mobilisation telle que la Commission européenne a été contrainte de mettre sur la table une proposition révisée fin 2015 : le système juridictionnel des investissements, ou ICS*. Avec ce « RDIE bis », la Commission a essayé de rassurer sur le fait que le législateur resterait seul maître des choix des politiques sociales, environnementales et économiques. C’est raté, comme l’ont dénoncé juristes et organisations de la société civile. La reconnaissance du droit des États à réguler demeure limitée, car la légitimité des mesures prises pourra être sujette à l’interprétation des arbitres. La puissance publique se retrouve de facto dépossédée d’une partie de sa liberté d’agir dans l’intérêt général, tandis que l’influence des grandes entreprises sur les responsables politiques s’accroit considérablement.

Un système opaque qui favorise les conflits d’intérêts

A mille lieux des juridictions nationales où des juges doivent exercer sous contrôle d’une magistrature publique, le système de règlement des différends présents dans le CETA et le TAFTA fait appel à des « arbitres », appelés « juges » dans le RDIE bis. Ces derniers ne travaillent qu'au contrat et ne répondent à aucune entité capable d'assurer l'impartialité des décisions rendues. Au-delà d'une rémunération de base fixe, les arbitres dépendront financièrement de la rémunération versée par les parties engagées. Celle-ci reste directement proportionnelle au nombre de cas et à la longueur de leur instruction. Ce système très lucratif continuera de profiter à une liste d’arbitres qui proviennent essentiellement de sociétés d’avocats d’affaires internationales.