Foire aux questions

Aliments contaminés à l’oxyde d’éthylène

Un contrôle réalisé en Belgique a révélé que des graines de sésame en provenance d’Inde contenaient des résidus d’oxyde d’éthylène à des taux inquiétants, une substance toxique interdite en Europe. Sur le réseau d’alerte européen, les Etats membres sont prévenus dès le 9 septembre 2020. Branle-bas de combat : de nombreux aliments sont retirés des rayons et rappelés, en France comme ailleurs.

Le scandale est mondial. La liste des produits concernés sur le marché français évolue quasiment tous les jours ; vous pouvez la consulter ici (fichier Excel). Elle comptait plus de 3230 références rien que pour la France en janvier 2021, et près de 18.000 en avril 2022. C’est énorme et ce n’est malheureusement pas fini. 

Cette crise soulève de nombreuses questions que vous nous avez adressées, faute de trouver l’information sur les sites officiels.  Certaines grandes marques n’ont même pas cru bon de communiquer sur leur site ! Nous menons l’enquête depuis plusieurs semaines et avons interpellé les autorités, agences, fabricants et chaînes de distribution. Voici les éléments que nous avons rassemblés à ce jour. Les distributeurs tardent à répondre à nos demandes sur leur évaluation des risques et le manque d’information dans les rayons ; pas de nouvelles de leur part pour l’instant… 

Nos réponses à vos questions

L’oxyde d’éthylène est un désinfectant gazeux, utilisé pour éviter la formation de moisissures et pour prévenir la salmonelle. Il est interdit au sein de l’Union européenne. 
Très vite après l’alerte belge, plusieurs opérateurs en Inde sont épinglés pour avoir exporté ce sésame contaminé. Dans des pays hors de l’Europe qui ont des règlementations moins strictes, le recours massif à l’oxyde d’éthylène n’est pas un secret. Pour preuve, il ne nous a pas fallu plus de quelques secondes pour trouver sur le net des annonces proposant des stérilisateurs à l’oxyde d’éthylène, machines promettant de faire des miracles contre la chaleur ou l’humidité sur les graines de sésame avant l’exportation… 

La Commission européenne a pris l’affaire d’emblée très au sérieux car, s’il n’y a de risque aigu foudroyant au moment de la consommation de graines de sésame contaminées en petites quantités, l’oxyde d’éthylène n’est pas à prendre à la légère. Dans le règlement d’exécution européen daté du 22 octobre 2020 , elle écrit : « De tels niveaux de contamination représentent un risque grave pour la santé humaine dans l’Union car l’oxyde d’éthylène est classé comme mutagène de catégorie 1B, cancérogène de catégorie 1B et toxique pour la reproduction de catégorie 1B ».

En France, la Répression des fraudes (DGCCRF) confirme : « Il convient de limiter au maximum l’exposition des consommateurs à ce type de substance ». Si vous avez le moindre doute, vous êtes invité.e.s à contacter le centre antipoison proche de chez vous .  C’est l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses) qui procède à l’analyse des données qui lui remontent depuis les centres antipoison. On regrette qu’il n’y ait aucune information concernant la santé à disposition des citoyens sur le site de la direction générale de la santé. Sur celui de nos voisins belges, l’agence en charge de la sécurité alimentaire (Afsca) indique : « Nos experts ont conclu à un risque chronique potentiel. Cela signifie que si un consommateur devait consommer ces graines non conformes chaque jour de sa vie et en grande quantité, il y a un risque pour sa santé ».

La présence d’oxyde d’éthylène sur nos denrées alimentaires n’est pas autorisée (au-delà du seuil de 0,05 milligramme par kilo). Dès lors que cette substance est interdite, plusieurs fabricants prétendent qu’ils ne la vérifiaient pas lors de leurs autocontrôles en laboratoire. De nombreux opérateurs effectuent déjà des tests sur des centaines d’autres pesticides. Ils affirment que l’oxyde d’éthylène ne faisait pas partie des substances recherchées. 

Depuis que l’affaire a éclaté, les laboratoires croulent sous les demandes de tests. Des marques nous écrivent qu’elles doivent patienter pour effectuer ces tests… Bref, on attend. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouvelles « trouvailles » qui viendront allonger la liste des produits rappelés parce qu’ils sont contaminés.

L’alerte a été lancée par la Belgique le 9 septembre 2020 sur RASFF, le réseau d’alerte européen pour informer les autres Etats membres. Cette information fait suite à un autocontrôle d’une entreprise belge. Le lot contrôlé contenait jusqu’à 186 mg d’oxyde d’éthylène mesurés par kilo de produit ; c’est 3 700 fois plus que la limite maximale tolérée de résidus en Europe, qui est de 0,05 mg/kg.  Sur cette alerte, on voit que tous les pays d’Europe sont concernés mais que l’affaire est en réalité mondiale et touche d’autres pays hors UE (Singapour, Qatar, Emirats Arabes, etc.). 

Bio ou pas, le traitement des graines de sésame avec l’oxyde d’éthylène semble une pratique courante en Inde. Certains fabricants de bio tombent des nues, n’ont rien vu venir. Légalement, ils sont pourtant responsables de s’assurer de la conformité des produits qu’ils mettent sur le marché. Là encore, comme la substance était interdite en Europe, elle n’était pas traquée lors des contrôles en laboratoires. Mais clairement, en conventionnel comme en bio, nos interlocuteurs reconnaissent qu’il y a eu « des trous dans la raquette » et que cette crise pousse la filière à se remettre en question. L’oxyde d’éthylène ne faisait pas partie du tableau d’évaluation des risques. Cela va sans doute changer, à la faveur des leçons à tirer de cette affaire. A l’heure actuelle, on nous indique que : « tout le monde fait des quantités phénoménales d’analyses, dialogue avec les agences de certification bio, les autorités ». Une chaîne de supermarchés bio nous dit avoir cessé l’importation de sésame d’Inde pour le moment. 

Quand les denrées ne sont pas brutes mais mélangées ou si elles font partie d’un produit, il est rare de connaître la provenance exacte du sésame, qui n’est d’ailleurs pas renseignée sur l’étiquette la plupart du temps. 
Les autorités de contrôle françaises effectuent en ce moment des contrôles exploratoires sur le sésame en provenance d’autres pays, comme l’Egypte, par exemple. Nous continuons de scruter le réseau d’alerte et vous tiendrons informé.e.s. 

L’affaire touche principalement du sésame. En France, de l’échalote en semoule contaminée à l’oxyde d’éthylène vient d’être rappelée. 
En Europe, on a retrouvé de l’oxyde d’éthylène dépassant la limite de résidus autorisée dans du psyllium bio et même dans de l’amarante bio. Les deux lots provenaient d’Inde également. 

Le règlement d’exécution de la Commission européenne d’octobre 2020 établit que 50% des lots de sésame entrant en Europe doivent être contrôlés. La France va plus loin et décide de contrôler 100% des lots arrivant aux points de contrôle frontaliers. Ce qu’on peut saluer. 
En complément de ces mesures, la DGCCRF réalise des contrôles pour vérifier la bonne application des mesures de retraits et rappels par les opérateurs concernés par l’alerte. 

Bonne question. Personne ne consomme un paquet de graines de sésame tout d’un coup. Parfois aussi, des produits rappelés ont été vendus il y a longtemps. Sur la liste des produits rappelés, on trouve des références dont la date limite de consommation remonte à… l’été 2019 ! Nous avons demandé à la Répression des fraudes d’autoriser le remboursement des produits figurant sur la liste, même sans ticket. Cela a été refusé : la réponse est non. Nous avons tout de même insisté auprès des chaînes de supermarché et attendons leur réponse. Picard et Ducros nous disent procéder au remboursement des clients sur simple justificatif, comme une photo de l’emballage avec le numéro de lot.
La Vie Claire nous dit que les personnes n’ayant plus de ticket peuvent prendre contact avec le service consommateurs. E.Leclerc indique qu’il est possible de retrouver trace des achats pour les clients ayant une carte de fidélité afin de les rembourser.

Nous avons constaté nous aussi que les rayons étaient vidés des produits contaminés, souvent en catimini, c’est-à-dire sans aucune information mise à la disposition des consommateurs qui ont peut-être encore les aliments dans leur placard. Nous avons alerté la répression des fraudes qui nous répond : « En ce qui concerne la communication mise en œuvre par les opérateurs, le choix de ses modalités reste à leur initiative. Ils sont tenus par la réglementation d’informer leurs clients, mais le formalisme n’est pas fixé ». Il n’est tellement pas fixé qu’il est souvent ardu pour nous de trouver l’information ! Ces affiches en rayon devraient être obligatoires, de même que l’information accessible d’emblée en page d’accueil des marques et chaînes de magasins. 
Une célèbre marque d’épices nous écrit avoir demandé aux magasins distributeurs d’apposer des affichettes dans leurs magasins. Nous l’avons trouvée en rayons. Mais si vous constatez des manquements, continuez de nous informer. La Répression des fraudes invite aussi les consommateurs à les signaler sur la plateforme SignalConso.  La vague de retraits-rappels est telle (plus de 3200 produits à la mi-janvier 2021), qu’il y a pas mal de ratés.

La traçabilité, dans toute cette affaire, est clé. Et ce n’est pas qu’un mot glissé dans la loi pour faire joli. Le règlement européen sur la politique alimentaire (178/2002) est très clair à ce sujet. Les opérateurs du secteur agroalimentaire ont des obligations en ce qui concerne la traçabilité, précisément pour pouvoir retracer le parcours des denrées en cas de « problème de sécurité des denrées alimentaires ». 

Le règlement 178/2002 la définit comme ceci : « la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'une denrée alimentaire, d'un aliment pour animaux, d'un animal producteur de denrées alimentaires ou d'une substance destinée à être incorporée ou susceptible d'être incorporée dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux ». 

Dans les faits, les fabricants doivent être capables de fournir des informations immédiatement sur une étape avant – à qui ils achètent – et une étape après, c’est-à-dire à qui ils vendent.
Or aujourd’hui, on voit bien qu’on en est loin. Alors qu’aux yeux de la loi, on peut penser que les fabricants ont forcément pu vérifier aisément à qui ils achetaient leur sésame contaminé, c’est le chaos total dans les informations qui nous parviennent au compte-gouttes et a fortiori dans les retraits-rappels. Ainsi on voit des marques apparaître dans les 100 premières rappelées, puis elles réapparaissent quelques centaines de lignes plus loin, puis encore plus loin en fin de tableau. Bref, il y a de sérieux problèmes de traçabilité.
 
Il y a ensuite un deuxième point de la législation qu’il est important de souligner. C’est le fait qu’il est interdit de mettre sur le marché des aliments non-conformes à la réglementation. Cela figure aussi dans le règlement 178/2002 et dans le Code de la consommation. 
Or on a ici un sérieux problème du sens des responsabilités. Des opérateurs se posent en victimes, renvoyant la balle à l’Inde ou nous disant attendre de savoir ce que l’Inde va dire à la Commission européenne. Comme si les fabricants n’étaient pas censés inspecter ou auditer leur chaîne d’approvisionnement et s’assurer de la conformité des produits qu’ils commercialisent. Or c’est ce que prévoit la loi. 

Une telle crise déstabilise toute la structure de contrôle qui doit se focaliser sur ces alertes, se mettre en ordre de bataille, parer au plus pressé, fournir aux contrôleurs du matériel. Tout cela se fait au détriment d’autres crises ou problèmes qui peuvent du coup passer entre les mailles du filet.
On est dans la réaction plutôt que la prévention. C’est la responsabilité de chaque Etat membre de garantir la sécurité sanitaire des citoyens mais les opérateurs sont responsables de ce qu’ils mettent sur le marché. Tant qu’ils pourront jouer les victimes et échapper à leurs responsabilités, on ne va pas s’en sortir. Il faut donc des sanctions exemplaires, et des moyens à la hauteur pour que les autorités puissent faire les contrôles nécessaires. 

Autre lacune du système actuel : l’article 50 de la loi Agriculture et alimentation de 2018 (EGAlim) n’oblige pas les laboratoires et les entreprises agroalimentaires à faire remonter les non-conformités auprès des autorités quand elles en décèlent. C’est aux autorités à en faire la demande !  

Nous avons écrit aux principales marques concernées par le retrait-rappel : : Mc Cormick (Ducros), Albert Ménès, Thiriet, Picard, Gerblé, Bjorg/Bonneterre, Atelier Blini, perl’amande, Markal, Pasquier, Bridor, Wasa/Harry’s, Tipiak, Guyader, Jacquet, Biofournil. Certaines semblent faire l’autruche. Nous vous livrons ci-dessous les réponses reçues de celles qui ont daigné répondre à nos/vos inquiétudes. Nous avons aussi interpellé la grande distribution : Auchan, Carrefour, Monoprix, Intermarché, Système U, Lidl, E.Leclerc, Metro, Cora, Casino, Aldi, Leader Price, Biocoop, La Vie Claire, Picard. Seuls Picard, Biocoop, La Vie Claire et E. Leclerc ont pris la peine de nous répondre. 

Premier constat : de nombreux opérateurs attendent que les autorités fassent le job et leur fournissent la liste des entreprises indiennes concernées ! 

Chez Albert Ménès, on nous répond : « Nous avons été informés du risque d’oxyde d’éthylène dans les graines de sésame début septembre lors de la parution de l’alerte européenne RASSF. Ainsi nous avons aussitôt pris contact avec nos différents fournisseurs nous livrant des produits finis ou des composants à base de sésame. Ces derniers nous ont attesté ne pas être concernés par cette alerte ; ils ne s’approvisionnaient pas auprès des producteurs indiens cités en premier lieu par les alertes. Nos fournisseurs sont revenus vers nous fin novembre, pour nous informer des non-conformités de certains produits livrés au premier semestre 2020. » Idem chez Perl’Amande :  « L’identification des usines concernées par une présence d’oxyde d’Ethylène en Inde par la répression des fraudes a été effectué et communiqué au fur et à mesure dans le temps. Nos fournisseurs n’étant pas concernés au début de la crise, nos lots ont malheureusement été identifiés à posteriori ». Malheureusement… 

Albert Ménès semble avoir revu ses processus  : « Nous demanderons systématiquement des analyses d’oxyde d’éthylène que cela soit sur les graines de sésame brutes, les produits transformés contenant du sésame, mais aussi les autres produits récoltés en Inde. Nous réaliserons également des autocontrôles.  (…) Face à ce type d’alerte, nous ne pouvons que renforcer nos procédures qualité, traçabilité et nos cahiers des charges ». 

Aucune des marques sollicitées ne nous apporte de réponse satisfaisante concernant l’évaluation des risques et la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement. Plusieurs marques – Bjorg, Pasquier, Gerblé, E.Leclerc - indiquent que le risque de contamination à l’oxyde d’éthylène n’avait pas été identifié avant cette crise. La substance est désormais intégrée dans leur plan de surveillance. 
A l’heure où nous rédigeons ces lignes, aucune information n’est disponible en page d’accueil de la plupart des chaînes de supermarchés, ni sur les sites de grandes marques comme Bjorg, Gerblé, Ducros… ou alors l’info est vraiment, vraiment bien cachée. 

Concernant l’évaluation des risques et l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement, McCormick (Ducros) nous écrit : « Dans le cadre de notre processus d’évaluation de la vulnérabilité, nous prenons toujours soigneusement en compte le risque de toute forme e transformation ou de traitement (incluant l’ETO) sur nos produits ». L’ETO, c’est l’oxyde d’éthylène, toujours pris en compte… ? Toutefois McCormick affirme n’avoir appris qu’en janvier 2021 d’un fournisseur qu’un lot fourni à une usine française fin 2019 dépassait les limites réglementaires. 

Pasquier confirme être concerné par la contamination atteignant parfois des seuils jusqu’à 100 fois la limite de résidus autorisée. Brioche Pasquier affirme avoir mis en branle le système de traçabilité dès octobre dernier et informé les autorités. Cela a mené parfois à l’arrêt de productions en cours, à d’autres investigations sur les productions précédentes et une vigilance accrue sur les autres matières premières en provenance d’Inde. 

Du côté des supermarchés, seuls E.Leclerc, Picard, Biocoop et La Vie Claire ont pris la peine de nous répondre. Chez toutes les autres enseignes de distribution, pour l’instant, c’est silence radio. E.Leclerc n’avait pas identifié ce risque avant l’alerte mais dit avoir interpellé tous ses fournisseurs de graine de sésame dès octobre 2020 pour vérifier s’ils étaient concernés. Biocoop affirme : « nous avons fait procéder à des analyses sur toutes nos références contenant du sésame. Normalement, les analyses d’oxyde d’éthylène ne sont prévues que sur les graines de sésame. Tous les lots avec des résultats avec une détection, même inférieure à 0,02 mg/kg (seuil règlementaire pour le bio) et même en cas de résultats conformes sur des lots de matières 1ères ont été rappelés ». Biocoop a par ailleurs pris la décision de suspendre totalement l’utilisation de sésame d’origine Inde et ce, « quelles que soient les garanties (depuis le 24/11) ». Picard a mis l’information à disposition sur son site internet dans la rubrique « rappel produits » signalée tout en bas de la page d’accueil. Picard précise : « Tous les lots de graines de sésame destinés à être utilisés dans nos recettes font désormais l’objet d’une analyse libératoire avant mise en œuvre ». La Vie Claire reconnaît que : « Nous étions en alerte depuis septembre, mais les alertes concernaient uniquement les produits conventionnels. La 1ere contamination avérée sur un produit La Vie Claire a été détectée fin octobre 2020. (…) La recherche d’ETO a été ajoutée au plan de surveillance dans les produits contenant du sésame, ainsi que d’autres matières premières venant d’Inde ».

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