Un logo nutritionnel à la sauce de l’industrie agroalimentaire ?

Ou comment détourner une bonne idée au détriment de la santé publique

Après des années de lutte contre toute forme d’étiquetage nutritionnel à code couleur, plusieurs multinationales agroalimentaires, parmi lesquelles Nestlé et Coca-Cola, ont annoncé en mars 2017 lancer leur propre initiative d’étiquetage de type feux tricolores. L’objectif de cette « initiative pour un étiquetage nutritionnel évolué » (« Evolved Nutrition Label Initiative ») est de concevoir un système de feux tricolores détourné qui affiche moins de feux rouges grâce à une approche par portions. Ceci s’inscrit directement contre l’idée d’un étiquetage facile à lire pour les consommateurs et montre pourquoi, si l’objectif consiste à promouvoir des régimes alimentaires plus sains, les critères d’étiquetage nutritionnel doivent être développés par des organes scientifiques indépendants, libres de toute influence de l’industrie agroalimentaire.

Des géants de l’alimentaire sous pression

L’épidémie mondiale d’obésité a placé l’industrie agroalimentaire sous forte pression. Les programmes éducatifs et l’autorégulation se sont révélés insuffisants à renverser la tendance. De plus en plus de pays mettent donc en place des mesures législatives pour promouvoir une alimentation plus saine. Par exemple, plusieurs États membres de l’UE, le Royaume-Uni, la France, la Belgique et la Suisse, ont introduit des taxes sur les boissons sucrées ou des restrictions sur le marketing ciblant les enfants. La France recommande également l’usage volontaire d’un logo nutritionnel sur l’avant des emballages, le Nutri-Score, dont les cinq couleurs symbolisent la qualité nutritionnelle du produit. Et un nombre croissant d’États membres mettent en place des programmes de « reformulation » visant à faire pression sur les entreprises agroalimentaires pour baisser les teneurs en sucres, en graisses et/ou en sel de leurs produits transformés. Dans ce contexte, l’industrie agroalimentaire tente de se donner l’image d’un partenaire responsable qui souhaite aider ces pays à promouvoir une alimentation plus saine. Cependant, la vérité est que les grands acteurs de l’industrie agroalimentaire et leurs lobbies cherchent à éviter la mise en place de telles politiques de santé publique. 

Nestlé, Coke & co. : des partenaires loin d’être fiables dans la lutte contre l’obésité

L’« Evolved Nutrition Label Initiative », annoncée par Coca-Cola, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo et Unilever (les « big 6 ») en mars 2017 n’est pas digne de confiance. Ces entreprises sont connues pour leur résistance lorsqu’il s’agit de promouvoir une alimentation saine. Les grands groupes agroalimentaires ont mené un lobbying agressif pendant des années afin d’éviter l’adoption d’un système obligatoire et européen d’étiquetage de type « feux tricolores », fondé sur l’approche lancée originellement par l’Agence britannique des normes alimentaires (FSA) en 2007. Il y a dix ans, ces mêmes entreprises ont lancé un programme d’autorégulation sur base volontaire, qui visait à réduire le marketing ciblant les enfants pour des aliments et boissons déséquilibrés (nommé EU Pledge). Ce programme a échoué. Parmi ces mêmes entreprises, certaines sont actuellement en train de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour lutter contre la mise en place de taxes sur les sodas et les produits sucrés partout dans le monde. La fuite de certains documents internes à Coca-Cola Europe a révélé que la lutte contre « de nouvelles taxes ou des hausses de taxes sur les produits dans les États membres » était la priorité du lobby. 

Enfin, le revirement des « big 6 » et leur annonce de développer leur propre « Evolved Nutrition Label Initiative », au moment précis où la France a décidé de recommander le logo Nutri-Score et de le promouvoir en Europe, est loin d’être une coïncidence. C’est très évidemment une tentative visant à créer de la confusion et à dissuader un maximum d’entreprises d’adopter le Nutri-Score.

L’objectif de l’initiative des industriels : moins d’étiquettes rouges

Lorsque Coca, Nestlé et compagnie ont annoncé leur nouvelle initiative de feux tricolores en mars 2017, ils n’ont pas précisé quels critères seraient utilisés pour déterminer les feux vert, orange ou rouge sur les produits concernés. Lorsque foodwatch a posé la question aux six géants, Nestlé nous a fourni cette réponse le 29 mars 2017 au nom de l’initiative :

« Nous souhaitons être clairs sur le fait que, pour le moment, notre groupe d’entreprises a seulement déclaré son intérêt à développer le système d’étiquetage volontaire existant en Europe. (…) Il n’existe actuellement pas de système d’étiquetage prêt au déploiement, et le résultat de cette démarche – qui prendra certainement du temps – devra être fondé sur un dialogue large et transparent entre les différents acteurs, ainsi que sur la compréhension et l’acceptation des consommateurs ».

D’après une présentation datée du 7 septembre 2017, ces entreprises prévoient de lancer leurs critères d’étiquetage le 30 novembre à Bruxelles à l’occasion d’une rencontre du « groupe de haut niveau sur la nutrition et l’activité physique » et de la « plateforme de l’UE relative à l’alimentation, l’activité physique et la santé ». Cette présentation rend les objectifs poursuivis on ne peut plus clairs. Les trois systèmes sélectionnés pour évaluation ont un point commun : ils donneraient tous beaucoup moins de feux rouges que le système de feux tricolores actuellement utilisé au Royaume-Uni.  Des documents internes datés du 21 novembre 2017 montrent quel modèle les entreprises semblent avoir choisi : l’« ENL 15 % RI ».  Ce système n’affiche que très peu de feux rouges lorsqu’il est appliqué à de petites portions.  

En d’autres termes, l’industrie veut éviter de devoir utiliser un système d’étiquetage qui informerait le consommateur des teneurs en sucre, en graisses ou en sel élevées. Ceci s’inscrit directement contre l’idée d’un étiquetage facile à lire pour les consommateurs et montre pourquoi il est si important que les critères d’étiquetage nutritionnel soient développés par des organes scientifiques indépendants, libres de toute influence de l’industrie agroalimentaire.