Viande de cheval : un autre scandale est possible

Les condamnations pour les quatre prévenus dans l’affaire dite Spanghero, du nom de l’entreprise française qui a vendu du cheval à la place du bœuf, ont été prononcées à Paris le 16 avril 2019. Elles sont plus légères que ce que la Procureure avait requis lors du procès. Six ans après le scandale qui a ébranlé l’Europe, on constate que les consommateurs ne sont toujours pas suffisamment protégés contre les fraudes alimentaires. Il devient urgent de réformer le système qui permet les tromperies de cette ampleur.

Partie du Royaume-Uni début 2013 pour s’étendre à toute l’Europe, l’affaire a révélé les combines de toute une filière. Plus de 4,5 millions de plats cuisinés à partir de viande frauduleuse ont été écoulés dans une douzaine de pays européens. L’enquête a mis en lumière l’incroyable trafic de la viande de cheval achetée en Roumanie et au Canada par des traders hollandais, dont la société Draap trading était basée à Chypre. La viande de cheval sillonnait l’Europe et était ré-étiquetée au sein de Spanghero afin de se faire passer pour ce qu’elle n’était pas : du bœuf français. Elle était ensuite vendue à des grandes marques de plats préparés mais aussi utilisée dans des produits à marques distributeurs, et des saucisses ou merguez. Le procès Spanghero a mis en lumière que chacun des maillons de la chaîne avait un intérêt à frauder. Selon la Procureure, il s’agissait là de « l’affaire du siècle ». 

Une tromperie d’une rare ampleur 

Jan Fasen, le trader néerlandais, a écopé de la peine la plus ‘sévère’ avec deux ans d’emprisonnement et une interdiction définitive d’exercer une activité professionnelle dans le secteur de la viande. Le tribunal a délivré un mandat d’arrêt à son encontre. Il est pour l’instant en Espagne où il est mouillé dans une affaire analogue. Son bras droit, Hans Windmeijer, a été condamné à un an d’emprisonnement. 
Jacques Poujol, ancien dirigeant de Spanghero, a été condamné à la confiscation de sa prime de 100 000 euros et à deux ans de prison dont 18 mois de sursis. Mais il avait déjà effectué 4 mois de détention préventive. Le juge d’application des peines pourra donc décider d’aménager cette peine. M. Poujol a interdiction d’exercer une professionnelle liée au secteur de la viande pendant deux ans. L’autre ex-cadre dirigeant de Spanghero, Patrice Monguillon, a été condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis. Le chiffre d’affaires de Spanghero entre février et décembre 2012 pour le seul négoce viande de cheval (maquillée en viande de bœuf) s’élevait à 1 900 704 euros. 
Un scandale peut en cacher un autre : les deux Français et le néerlandais J. Fasen ont également été condamnés pour l'importation de 65 tonnes de viande de mouton séparée mécaniquement, importation interdite dans l’Union européenne depuis la crise de la vache folle. 

Les leçons n’ont pas été tirées

Cette affaire a certes généré quelques mesures : la création d’un réseau européen pour une meilleure collaboration entre Etats membres, le Food Fraud Network. En France, la loi Hamon a presque multiplié par dix les amendes en cas de tromperie et la mention de l’origine de la viande dans les plats préparés est devenue obligatoire depuis 2017. 
Mais six ans après l’affaire de la viande de cheval, le constat reste accablant et il est impératif d’aller beaucoup plus loin. Le système actuel permet à des millions d’œufs contaminés au fipronil – interdit – de finir dans nos assiettes. Des chevaux aux passeports falsifiés pénètrent aujourd’hui encore le circuit de distribution européen, sans que nous en soyons informés. Et enfin, foodwatch dénonce cette situation absurde où la grande distribution censée s’assurer de la conformité des produits qu’elle commercialise finit toujours par se poser en victime, dans l’impunité totale. Un comble.

Viande de cheval et fipronil : le même argument bidon

« C’est interdit donc on ne vérifie pas ». On a entendu cette même excuse en 2017 lorsque le scandale du fipronil, substance interdite pourtant utilisée pour asperger des poulaillers en Europe, a éclaté. Et c’est en substance ce qu’ont mis en avant les différents acteurs impliqués dans la fraude à la viande de cheval au cours du procès. Des test ADN sur la viande auraient permis de déceler qu’il ne s’agissait pas de bœuf mais de cheval, mais de tels tests n’étaient pas obligatoires en 2013 – et ils ne le sont toujours pas aujourd’hui. Donc aucun des acteurs de la chaîne n’a pris la peine de vérifier. 

Le trafic de cheval impropre à la consommation se poursuit

Les trafiquants continuent de miser sur des effectifs de contrôle de plus en plus réduits et un système de traçabilité défaillant pour faire entrer des chevaux avec des passeports falsifiés dans la chaîne alimentaire. Rien qu’en 2018, la France a été concernée par cette fraude à quatre reprises au moins, comme le montre le réseau d’alerte sanitaire européen RASFF (en juillet, octobre,  novembre, en décembre). L’Allemagne est toujours concernée par ce trafic en 2019. Des mesures de retrait ont été prises apparemment dans certains cas mais nous n’en savons quasiment rien. En aurions-nous consommé à notre insu ? foodwatch exige la transparence des résultats des contrôles sur notre alimentation. Sur le papier, la législation alimentaire de l’Union européenne – le règlement (CE) 178/2002 – est censée offrir aux consommateurs un niveau élevé de protection. En théorie, la traçabilité des denrées doit être garantie tout au long de la chaîne d’approvisionnement par exemple. Dans les faits, on en est loin. 

La grande distribution, responsable, doit rendre davantage de comptes  

Scandale après scandale – viande de cheval, fipronil, Lactalis – la grande distribution s’en sort en toute impunité. De nombreux supermarchés ont vendu des saucisses ou des plats préparés à base de viande de cheval en annonçant qu’il s’agissait de bœuf. Les consommateurs ont été trompés. Au lieu de prendre ses responsabilités, la grande distribution s’est posée en victime lors du procès Spanghero en jouant la carte du ‘on ne savait pas’. C’est trop facile. Cela doit changer car souvent, les produits alimentaires potentiellement dangereux ou frauduleux ne sont identifiés qu’une fois vendus et consommés. Trop tard, donc.

Opacité : cela doit changer

La législation européenne n’oblige pas les autorités à rendre les informations publiques en cas de fraudes alimentaires. Impossible pour les citoyens de savoir. Pour foodwatch, il s’agit d‘une aberration qui doit être corrigée ! A chaque nouveau scandale, nous découvrons les informations au compte-goutte. Nous réalisons alors que nous avons souvent déjà consommé ces produits. 

foodwatch va donc continuer d’exiger des autorités un renforcement de la législation européenne (178/2002), de la traçabilité, des contrôles, des sanctions et, surtout, la transparence des informations pour tout ce qui concerne notre alimentation. Parce que nous avons le droit de savoir !