Actualités 07.04.2023

Fraude alimentaire : un miel sur deux importé en Europe serait frauduleux et souvent pas détecté. Comment savoir lequel ?

Le vrai miel est 100% pur. Mais avec l’effondrement des essaims d’abeilles dû au changement climatique et aux pesticides, ce précieux nectar se fait de plus en plus rare. On en importe donc beaucoup. Or, 46% du miel importé de pays hors Europe ne serait pas vraiment du miel. C’est totalement interdit mais ces ‘faux miels’ parviennent pourtant jusqu’aux consommateurs et consommatrices. Comment est-ce possible ? Comment savoir si nous consommons du miel frauduleux ?   

Un miel sur deux importé de pays hors Europe contiendrait des sirops de sucre à base de riz, de blé ou de betterave sucrière. Pourtant, adultérer le miel est totalement interdit. Depuis plusieurs années, foodwatch alerte sur l’ampleur de la fraude alimentaire . Cette fois, c’est la Commission européenne qui tire la sonnette d’alarme. Le marché européen est une véritable passoire qui permet aux fraudeurs d’écouler leurs faux produits.

« Faux » miel en Europe : une révélation-choc autant qu’un aveu de faiblesse

« Une part importante du miel importé en Europe est soupçonné d’être frauduleux, mais il n'est souvent pas détecté », affirme le nouveau rapport “From the hives” (‘De la ruche’) publié par la Commission européenne . 

Pour parvenir à ce constat, la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne (DG SANTE) a coordonné une grosse opération de contrôle des miels importés au sein de l’Union européenne en collaboration avec 16 pays européens, la Norvège, la Suisse et l’Office européen de lutte antifraude (OLAF).

Parmi les 320 prélèvements effectués aux frontières, 46% des miels testés par le laboratoire officiel du Joint Research Centre (JRC) pour la Commission montrent des résultats suspicieux par rapport à la directive européenne 2001/110/CE sur le miel . Ces faux miels provenaient surtout de Chine et de Turquie. 

  • Sur les 21 échantillons prélevés en France, seuls 4 étaient du vrai miel, 5 lots de miel suspectés d’être frauduleux étaient destinés au marché français tandis qu’une douzaine de lots non conformes étaient destinés à la Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne et les Pays-Bas. 
  • Sur les 63 échantillons prélevés en Belgique, près de 20 lots de miel suspectés d’être frauduleux étaient destinés au marché belge, d’autres miels non conformes étaient destinés à la France, l’Allemagne et l’Espagne.  
  • Sur les 32 échantillons prélevés en Allemagne, la moitié était suspectée d’être frauduleuse et destinée surtout au marché allemand. L’Allemagne concentre à elle seule un tiers environ des importations européennes de miel en provenance de pays tiers.
  • Sur les 103 échantillons prélevés en Pologne, près de la moitié était suspectée d’être frauduleuse et destinée au marché polonais, avec des lots non-conformes destinés également aux Pays-Bas et à la Belgique. 

Les prélèvements ont été effectués essentiellement dans les grands ports où les produits frauduleux arrivent avant de sillonner les routes européennes : Anvers, Hambourg, Barcelone, Le Havre, etc. et à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Sur les 95 importateurs ciblés, deux tiers d'entre eux avaient importé au moins une fois un lot de miel suspecté d'être frelaté avec des sirops de sucre.  Ces produits ne présentent pas de risque pour la santé des consommateurs et consommatrices, mais c’est tout simplement interdit. 

Trois fois plus de miels suspectés : les fraudeurs extrêmement malins

Ce taux de suspicion de miel frauduleux de 46% est considérablement plus élevé que lors du précédent plan de contrôle coordonné à l'échelle européenne en 2015-17, où seuls 14 % des échantillons analysés n'étaient pas conformes aux critères de référence établis pour évaluer l'authenticité du miel. 

Que s’est-il passé entretemps ? Autrefois, les fraudeurs diluaient le miel avec des sirops de sucre à base d'amidon de maïs ou de canne à sucre. Se sachant surveillés, ils les ont remplacés par des sirops fabriqués principalement à base de riz, de blé ou de betterave sucrière... que les nouvelles méthodes utilisées par le Joint Research Centre (JRC), – le laboratoire qui travaille pour la Commission européenne, ont cette fois-ci réussi à détecter. D’où ce résultat trois fois plus élevé. 

Cela signifie que jusqu’à présent, les miels frauduleux passaient souvent inaperçus pour les laboratoires officiels au sein des Etats membres ou pour les laboratoires privés qui testent pour l’industrie, tout simplement parce qu’ils n’utilisaient pas cette méthodologie prometteuse. C’est une bonne nouvelle que le JRC puisse détecter autant de fraudes. Le hic, c’est que cette méthodologie n’est pas (encore) utilisée par les autorités de contrôles officielles, ni en test de routine par les marques de miel courantes ou les marques distributeurs.

La fraude au miel rapporte gros : des profits multipliés par cinq

La dilution frauduleuse du miel avec des sirops de sucre rapporte gros et le risque de se faire attraper est faible. En moyenne, un miel importé en Europe coûte 2,17 euros par kilo alors que les sirops de sucre fabriqués à partir de riz coûtent entre 0,40 et 0,60 euros au kilo. Et l’Europe importe 175 000 tonnes de miel par an – c’est le deuxième importateur mondial de miel après les États-Unis –, pour couvrir 40% de sa consommation. L’Union européenne est donc très dépendante de ces importations en provenance de pays tiers.

Si 46% des miels importés sont potentiellement frauduleux, cela fait plus de 80 000 tonnes de faux miels vendus et consommés en Europe chaque année. Sans compter les fraudes intra-européennes bien sûr qui font grimper davantage ce chiffre. Tout cela dans l’opacité la plus totale pour les consommateurs.
Ingrid Kragl auteur de « Manger du faux pour de vrai. Les scandales de la fraude alimentaire » (éd. Robert Laffont )

Fraudeurs et revendeurs de miel parfois complices

Les apiculteurs qui travaillent dans les règles de l’art et les revendeurs de miel sont victimes de ces trafics de miel frauduleux. Mais il arrive qu’ils soient parfois complices. La participation de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) à cette grande opération européenne a permis de démontrer, par ses enquêtes, une collusion entre certains opérateurs. Exportateurs, importateurs, mélangeurs et clients (fabricants/vendeurs de miel) se mettent parfois d’accord pour : 

‣ recourir à des laboratoires accrédités par l'UE afin d’adapter les mélanges de miel et de sucre et éviter qu'ils ne soient détectés par les clients et les autorités officielles avant le début de l'opération ;
‣ utiliser des additifs et colorants pour imiter d'autres sources botaniques de miel ;
‣ utiliser des sirops de sucre pour frelater le miel et faire baisser son prix ;
‣ masquer délibérément la véritable origine géographique du miel en falsifiant les informations de traçabilité.

Pour Christophe Brusset, ex-négociant pour l‘industrie agroalimentaire et auteur de « Vous êtes fous d’avaler ça ! » (éd. Flammarion), les mauvais dans l’histoire ne sont pas nécessairement les fraudeurs. Christophe Brusset a été amené à négocier l’achat de très grosses quantités de miel pour la grande distribution à des prix planchers. Au tarif fixé par ses patrons, il était impossible de trouver de telles quantités en France. Il s’est donc naturellement rendu en Chine dans ces usines aux technologies dernier cri qui fabriquaient de faux miels de toutes pièces pour le prix ridicule que les chaînes de supermarchés étaient prêtes à payer. 

Bien sûr, la qualité de ces miels artificiels chinois est médiocre voire carrément mauvaise, mais cela ne dérange personne. Moi, j’étais payé pour en acheter. Il était ensuite revendu ni vu ni connu en supermarché. Il y a bel et bien un marché pour le miel frauduleux.
Christophe Brusset Auteur de « Vous êtes fous d’avaler ça ! » (éd. Flammarion)

L’Europe est une passoire pour la fraude alimentaire

En Europe, nous sommes dotés de réglementations fortes dans le domaine alimentaire pour protéger les consommateurs. Pourtant, cette nouvelle enquête de la Commission démontre que des milliers de tonnes de miel frauduleux pénètrent le territoire européen et donc nos supermarchés depuis des années sans que nous n’en soyons jamais informé·es. Et pour cause, les services de contrôles nationaux mais aussi les laboratoires privés passent à côté de la fraude car leurs moyens sont insuffisants et ils n’utilisent pas (encore) la nouvelle méthode développée par le Joint Research Centre, qui permet de repérer les nombreuses adultérations sur les faux miels importés. Nous demandons maintenant un électrochoc politique : la fraude est massive et sous nos yeux. Mais elle reste un tabou. 

foodwatch demande des moyens de contrôles à la hauteur de l’enjeu et une méthodologie harmonisée pour repérer la fraude au miel. En 2020, la France a consommé 45 000 tonnes de miel dont 35 000 tonnes importées d’Europe ou de pays hors Europe. La France importe  son miel principalement d’Espagne (20 %), d’Ukraine (13 %), d’Argentine (10 %), d’Allemagne (10 %), et de Chine (9 %).

Avons-nous consommé du miel frauduleux ? foodwatch fait campagne sur le sujet depuis plusieurs années ; plus de 43 000 personnes ont signé la pétition réclamant la transparence sur la fraude alimentaire. 

Car il est impossible de reconnaître du miel frauduleux à l’œil nu. Mais les autorités qui ont enquêté sur ces fraudes ont eu accès aux informations. Nous avons le droit de savoir si nous consommons des produits hors-la-loi. Continuez de signer la pétition :

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