Actualités 21.05.2025

[INTERVIEW] Professeur Daniel Nizri, président du Programme National Nutrition Santé sur les promotions alimentaires

En mai 2025, 8 associations de consommateurs, de préservation de l’environnement et de santé font front uni pour dénoncer les pratiques promotionnelles aberrantes des supermarchés. En menant l’enquête dans les rayons alimentation, elles révèlent que la majorité des promotions concerne des aliments mauvais pour la santé. A cette occasion, France Assos Santé, membre du collectif d’associations, a posé des questions sur les promotions au Professeur Daniel Nizri, président du Programme National Nutrition Santé 4.  

Qui est le Professeur Daniel Nizri ?

Daniel Nizri est un médecin français, cancérologue. Vice-président, puis président actuel de la Ligue contre le Cancer, il a consacré sa carrière à la lutte contre le cancer, en accompagnant et soignant des patient·es à l’hôpital, ou en enseignant la cancérologie à l’université. Il a également orchestré la création et la mise en œuvre de politiques publiques auprès du gouvernement, notamment dans la mise en place du Plan Cancer en 2008. Il a travaillé pour divers ministères en tant que conseiller technique. Depuis août 2020, Daniel Nizri est Président du comité de suivi du PNNS 2019/2023. 

Pourquoi les promotions sont-elles si efficaces pour influencer nos choix alimentaires ?

« Il y a 4 raisons qui expliquent l’efficacité des promos. D’abord, qui dit promo dit affaire, en tout cas quelque chose de rare, à ne pas rater ! Dans l’esprit du consommateur, même averti, cela s’entend comme une opportunité limitée : c’est maintenant ou jamais. Spontanément, on ne se pose pas la question de savoir si c’est bon ou pas.  L’effet rareté et donc urgence s’impose avant toute autre considération.  

Autre biais, celui de la valeur perçue. Autrement dit, le produit affiché en promotion a plus de valeur parce qu’il est moins cher que d’habitude. Selon les codes commerciaux, cela induit aussitôt ce qu’on appelle une « récompense mentale ».  

La 3e raison se rapporte à la disponibilité et la visibilité :  l’étiquetage propre à la promo et surtout les produits sont en tête de gondole, et non seulement mis en avant, mais placés aussi stratégiquement à proximité des caisses… Il peut même arriver que les promotions soient placées dès l’entrée en magasin : les courses n’ont pas encore commencé qu’on est déjà dans un SAS de promotions ! Ce positionnement peut donner l’impression de gagner du temps. 

Enfin, quand il s’agit de promos sur des produits trop gras, sucrés, salés, cela a pour effet aussi d’activer le circuit de la récompense dans le cerveau avec pour effet de donner envie d’en acheter ou d’en racheter, surtout si les prix sont bradés ! » 

Si, en lieu et place des chips ou des sodas, les produits sains étaient mis en avant via des promotions, est-ce qu’on mangerait différemment ?

« Les commerciaux se font aider par des spécialistes de la manipulation mentale. Pour construire leur stratégie marketing, ils s’appuient sur des techniques d’imagerie pour regarder, par exemple, ce qui se passe dans le cerveau avec certaines stimulations (comme des publicités, des promos, une animation autour d’un produit…), ou encore le lien entre tel ou tel message marketing envoyé à la personne et son passage en caisse.  

La promo est une technique marketing incroyable pour faire venir au magasin. Ce qui marche pour les produits que les recommandations de santé publique classent moins sains est également valable pour les produits de meilleure qualité nutritionnelle : nos choix de consommation seraient influencés dans l’autre sens, le bon sens !  Quand on joue sur la présentation et le prix, on change les comportements ; les études le montrent. Nous devons nous réapproprier les leviers de santé publique avec des stratégies de marketing positif, c’est donc intéressant de s’attaquer au sujet des promos pour demander non pas leur disparition mais qu’elles valorisent des produits bons pour la santé et l’environnement.  

Ce n’est pas le consommateur qui doit être culpabilisé, il y a une responsabilité de celui qui vend le produit et fait sciemment le choix de mettre tel ou tel produit en avant. Les enjeux en matière de santé et d’environnement exigent cette responsabilité des acteurs de la grande distribution. Se dire allié du bien manger et du pouvoir d’achat ne suffit pas, il faut des actes. » 

On parle beaucoup de liberté de choix du consommateur. Mais cette liberté est-elle réelle quand seule 1 promotion sur 10 porte sur des aliments sains ?

« On ne peut évoquer la liberté de choix que si les options proposées au consommateur sont présentées de façon équilibrée ou accessible ! Le choix n’est jamais libre, il est influencé par l’environnement, et notamment la manière dont le produit est mis en valeur, placé, etc. … Inconsciemment, on va vers des produits avantageusement valorisés. En parallèle, on ne peut pas faire fi du critère du prix. Il compte bien sûr. Même la manière dont le prix est affiché peut jouer dans l’achat ou non. Les biais cognitifs sont nombreux, mais tous sont pensés pour nous donner l’impression d’être gagnants ! Bref, dans une grande surface tout est fait pour nous emmener là où le distributeur veut nous emmener. Cette campagne sur les promotions permet de mettre en lumière les « armes » de la manipulation. C’est important que le consommateur soit sensibilisé et prenne conscience à quel point ses choix sont influencés. » 

En quoi les promotions alimentaires peuvent-elles aggraver les inégalités sociales de santé ?

« C’est une évidence : on estime que 30 % des Français vont privilégier des produits moins chers tout simplement parce qu’ils n’ont pas le choix ! Si ces promos sont sur des produits trop gras trop sucrés et trop salés, cela incite les gens à acheter ce qui est moins bon pour eux parce que c’est accessible ! Problème, ces promos sur le long terme aggravent les inégalités sociales de santé.  
L’effet cumulé sur la santé, c’est l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires, etc.  En faisant en sorte que tout le monde ait accès à une alimentation saine, durable, abordable et choisie, on réduirait non seulement les inégalités alimentaires, mais également le coût sanitaire pour la société. En fin de compte, il en va globalement de la protection de notre bien-être, pour nous et la planète. » 

Pétition : je signe pour des promos bonnes pour la santé   

Quelles seraient les conséquences positives à long terme, pour la société, l’environnement et le système de santé, si les promotions soutenaient réellement le ‘mieux manger’ ?

« A l’échelle de la personne, la première conséquence positive, c’est la prévention des maladies chroniques, et par ricochet l’allègement des dépenses publiques de santé et donc la protection de notre système de protection sociale qui pour l’instant va droit dans le mur ! Il faut réaliser cela, c’est important. 

A l’échelle de la société, c’est la protection de notre bien-être collectif. Et enfin c’est le bien-être de la planète sur laquelle on vit, avec moins de gaspillage et plus de durabilité. C’est l’offre qui oriente la demande aujourd’hui : si demain l’on fait changer la demande, cela aura pour effet de réorienter l’offre et en particulier l’offre de produits sains. Une demande de produits sains incitera les producteurs à privilégier les pratiques agricoles écologiques et permettra une réorientation de la production agricole. Sans oublier la réduction de l’empreinte écologique de la grande distribution bien sûr. C’est un cercle vertueux. 

Tous ces aspects mis ensemble consacrent l’approche « one health », une seule santé : santé de la personne, santé de la société et santé de l’environnement.  

Santé Publique France a sorti fin avril 2025 un baromètre qui pointe que les Françaises et Français ne mangent pas assez de fruits et légumes :  

- Près d’un quart des femmes et 18 % des hommes consomment cinq fruits et légumes par jour  

- Les jeunes adultes sont les moins enclins à suivre cette recommandation, ainsi que les couples avec enfants et surtout les familles monoparentales, dont les contraintes financières sont plus fortes. 

Ce baromètre montre qu’informer le consommateur ne suffit pas. Travailler sur les environnements alimentaires (disponibilité dans les magasins, accessibilité financière des aliments sains, mise en avant dans les rayons, marketing…) est tout aussi essentiel. Si en écho à la publication de ce baromètre, les distributeurs faisaient des promos sur les fruits et légumes et communiquaient par là-même pour inviter à manger plus de fruits et légumes, ce serait un levier formidable ! » 

Un dernier mot ?

« Nous militons tous pour une alimentation favorable au bien-être : saine, sûre, durable, choisie, accessible à tous et toutes et partout sur le territoire national… mais aussi en protégeant le revenu des agriculteurs et l’équilibre raisonnable de la filière agro-alimentaire dont nous dépendons. Il faut travailler ensemble sur la durée car il y a un principe de réalité : bien sûr, nous souhaitons des mesures ambitieuses pour garantir le bien-être et la santé des personnes, mais l’objectif est aussi de ne pas mettre en faillite tout le système ! Je préfère une transition réfléchie, avec des engagements sur un calendrier respecté pour obtenir des progrès. »