Actualités 12.05.2023

Influenceurs, alcool et malbouffe : le Sénat doit voter pour la santé, pas pour les lobbies

Au printemps, les parlementaires ont voté un texte de loi visant à réglementer les dérives des stars des réseaux sociaux et des plus jeunes, les influenceurs. D’abord dans les rangs de l’Assemblée nationale, puis sur les bancs du Sénat, notre petite équipe a interpellé ces élu·es pour faire interdire la promotion des produits trop gras, sucrés, salés, sur YouTube, Instagram, Tik Tok ou encore Snapchat. C’était sans compter sur l’influence des lobbies. Une fois de plus, le gouvernement et la majorité ont rejeté les propositions pour réglementer la promotion de la malbouffe et protéger la santé des jeunes. Une fois de plus, ils prétendent qu’il suffit de compter sur les engagements volontaires des industriels, que l’on sait pourtant totalement inefficaces. Dans une tribune signée avec Addictions France, foodwatch donnait l’alerte avant le vote au Sénat. Le combat continue.

Tribune publiée le 8 mai 2023 sur le site de Libération 

Les débats sur l’encadrement des pratiques des influenceurs au Sénat le 9 mai sont une occasion à ne pas manquer, pour les parlementaires, de protéger la santé des enfants et adolescents. Ceux-ci passent de plus en plus de temps sur Internet où ils sont massivement exposés aux publicités pour des produits peu sains. Et sur les réseaux sociaux, rien n’empêche les industriels de la malbouffe et de l’alcool de cibler ces jeunes via les influenceurs. Il est donc urgent d'encadrer strictement les placements de produits. Jusqu’à présent, le Gouvernement a choisi le camp des lobbies et opté pour le « laisser-faire » des industriels : c’est totalement inefficace. Les parlementaires peuvent et doivent faire bouger les lignes. 
 

Influenceurs et publicité : les marques jouent avec la santé des jeunes pour faire du chiffre

Faire appel à des influenceurs pour promouvoir leurs produits est devenu courant pour les marques, car les abonnés reproduisent leurs achats et habitudes de consommation. Les industries de la malbouffe et de l’alcool en ont bien compris l’intérêt pour happer les enfants, les adolescents ou les jeunes adultes. 

Avec les influenceurs, leurs produits sont mis en scène avec humour et convivialité, ce qui incite les jeunes à en (sur)consommer. Alors qu’en France, un enfant sur 6 est en surpoids ou obèse, qu’un quart de la population consomme trop d’alcool, et que les coûts sociaux de la surcharge pondérale et de l’alcool s’élèvent respectivement à au moins 20 milliards d’euros et 120 milliards d’euros annuels, selon le Trésor et l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (chiffres de 2012 et 2015), il faut limiter leur attrait.

Car « les jeunes n’ont pas la maturité cognitive pour résister à ces messages, explique le Pr Didier Courbet, professeur à l’université d’Aix‑Marseille, psychologue de la santé et chercheur. Sachant que les habitudes alimentaires se prennent dès l’enfance, ce sujet apparaît crucial. De plus, la pression marketing s’est accrue avec le développement d’Internet et du numérique, et ses leviers ont évolué, avec l’apparition de techniques d’influence non consciente bien affûtées ».

De l’Organisation mondiale de la Santé à Santé publique France, en passant par le Haut Conseil de la santé publique et de nombreux experts scientifiques, le consensus est clair : encadrer fortement la publicité est une mesure efficace de santé publique. 

Mais pour agir en faveur de la santé, il faut du courage politique. Ce dont a manqué une partie de la classe politique jusqu’à présent, qui a trop compté sur les entreprises et leurs engagements volontaires – et inefficaces - en termes de publicité. Sur les réseaux sociaux, en l’absence de régulation des pratiques des influenceurs, c’est le far west.

La puissance de feu des lobbies, de l’Assemblée jusqu’au Sénat ?

En mars dernier, lors des débats à l’Assemblée nationale sur l’encadrement des dérives des influenceurs, des parlementaires de tous bords politiques ont soutenu des propositions ambitieuses pour limiter fortement la promotion de la malbouffe et de l’alcool par les influenceurs. Ces propositions ont été rejetées par l’essentiel des députés de la majorité et par le Gouvernement. 

Pourquoi ? Face à la santé publique, les arguments économiques ont pris le dessus : ne créons surtout pas d’interdictions car réglementer la publicité menacerait le terroir, les produits régionaux, les emplois… sans oublier la sacro-sainte balance commerciale à laquelle les alcooliers et l’agro-industrie contribuent. 

Les géants de l’agro-alimentaire et de l’alcool guident les décisions de nombreux parlementaires. Mais nous voulons croire que tous et toutes ne sont pas dupes. Le Sénat peut et doit se ressaisir.   

Protéger la santé des jeunes demande du courage politique

Ce 9 mai, les sénateurs et sénatrices ont non seulement une opportunité, mais également la grande responsabilité de protéger la santé des jeunes, si sensibles aux publicités qui défilent sur leurs écrans.
Pour l’heure, le cadre règlementaire est quasi-inexistant pour la malbouffe, laxiste pour l’alcool. Le Gouvernement n’entend pas légiférer. Mais enfin, va-t-on laisser les industriels continuer d’influencer des millions de jeunes avec leur marketing insidieux, leurs pratiques contestables - voire illégales pour l’alcool ? 

Sans réaction du Sénat pour une réglementation ambitieuse, les industriels vont continuer d'utiliser l’aura des influenceurs pour inciter la jeunesse à consommer alcool et malbouffe. 

Il est temps que l'intérêt général et la santé publique prévalent, que le Parlement démontre son indépendance face aux intérêts privés et qu’il interdise la promotion de l’alcool et de la malbouffe par les influenceurs, pour aller plus loin que la simple auto-régulation des industries et protéger véritablement la santé des jeunes. 

Tribune cosignée dans Libération le 8 mai 2023

Karine Jacquemart, Directrice Générale de Foodwatch France
Bernard Basset, Président d’Addictions France
Serge Hercberg, épidémiologiste et nutritionniste 
François Bourdillon, ancien DG de Santé publique France